
Un plateau
pour Jésus-Christ
Décor :
Une table avec les restes d'un repas de fêtes, trois chaises en bois. La mère est assise au centre, face au public, à sa droite le père, Didascalos, à sa gauche, le premier fils. Le deuxième fis se tient debout, côté jardin, pieds légèrement écartés, vêtu d'un long manteau, chaussé de Doc Martens huit trous. Il tient son chapeau de ses deux mains, devant lui. Il porte une lampe frontale. Il regarde la salle dans une attitude déterminée. Derrière lui, un porte-manteau style perroquet, vide.
Plan lumière créé par le régisseur.
Le premier fils, à la salle :
- Dimanche. Tous les jours c'est dimanche, des dimanches de printemps, d'automne, de pluie qui jouent du tambour sur les vitres salies par le temps, des dimanches qui s'égrènent.
Dimanche, tous les jours c'est dimanche, le lundi c'était ravioli, le mardi c'était Monoprix, le mercredi est devenu jeudi.
Puis c'est la fin de la semaine, avec le samedi.
Reste le vendredi.
Didascalos :
— Tourne en rond, en carré, en losange, viens par ici petite mésange, le chat te croquera. Qui vivra verra. Qui vivra peu a déjà pas mal vu, qui vivra plus a plein de choses à voir, moi je vous le dit.
Le premier fils :
– C’est pas dimanche aujourd’hui, c’est vendredi.
Didascalos, à Marie – Qu’est-ce que t’as à t’agiter comme ça ?
Marie, au deuxième fils :
– Hé toi là-bas, où tu vas ?
Marie continue :
– Regarde-moi quand je te parle !
Didascalos :
– Il répond pas !
Le 1er fils :
– Et le vendredi, c’est RnB.
Marie, toujours au deuxième fils :
– Pense à nous, qu’est-ce qu’on va faire sans toi ?
Didascalos :
– Lui ? Il y pense même pas.
Marie :
– T’es pas bien ici ?
Didascalos :
– Il hausse les épaules
Marie :
– Regarde autour de toi, t’es pas bien ici ? Tu vas avoir froid dehors.
Le deuxième fils :
– J’ai chaud, j’ai mon manteau et mon chapeau.
Marie :
– Et en plus il fait nuit, t’y verras rien.
Le 1er fils
– Et pourtant, ils les ont bien vues, les étoiles, les trois zigs qui sont venus jusqu’ici avec leurs cadeaux.
Didascalos :
– C’est la lumière de sa lampe qu’ils ont vue, c’est pas des cadeaux, c’est une boite de Pandore.
Marie :
– Tu vois, tu as fait entrer le loup dans la bergerie.
Le premier fils :
– C’est pas une bergerie, c’est une étable. Et c’est quoi ces cadeaux que les flics ont apportés ?
Didascalos hausse les épaules.
Marie :
– Il faut que tu m’écoutes.
Le 2e fils :
– J’ai chaud, j'ai un manteau. Je vois, j'ai une lampe.
Didascalos :
– On entend un bébé qui pleure.
Marie :
– Ça y est, y a le petit qui pleure.
Le 2e fils :
– J'ai mon manteau et mon chapeau. Loden autrichien, garanti pure laine vierge 450 euros, Stetson 70 euros, lampes frontale Monoprix avec recharges de piles.
Marie :
– Arrête !
Le 2e fils :
– Loden autrichien, garanti pure laine vierge 450 euros, Stetson 70 euros, Doc Martens grises, lampes frontale Monoprix 6,99 euros avec recharges piles 1,5 volt.
Didascalos :
– C’est pas la peine que tu lui parles, il écoute pas.
Le 2e fils reprend :
– Doc Martens grises, occasion ebay,
Didascalos, à Marie :
– Pourquoi tu soupires ?
Marie :
– Parce que je veux qu’il enlève son manteau, son chapeau, ses chaussures, qu’il reste au chaud, avec nous.
Didascalos :
– Moi aussi j’ai voulu partir, un jour. J’avais le même âge que lui. 33 ans. J'ai pas eu le courage.
Le 2e fils :
– Lampe frontale 6,99 euros Monoprix, 6 recharges piles 1,5 volt, j’ai oublié le prix.
Marie :
- Qui veut de la bûche ? Sinon, y a des fruits aussi…. y a le choix, y en a treize... Vrai, vous voulez plus rien ? Même pas une coupette de champagne, pour fêter la naissance du petit ?
Didascalos :
– C’est de la clairette de Die.
Le 1er fils :
– Alors le vendredi, c’est clairette de Die.
Au 2e fis :
—Tu me diras le prix des piles quand t'iras à Monoprix ?
Didascalos
– Non, le vendredi, c’est paradis.
Noir.
La lampe frontale s’allume, le 2e fils sort côté jardin.
Beau comme un camion tout neuf emporté par la lave, un camion rouge sur la route 66, un quatre-quatre noir qui roule dans le sable pendant quarante jours et quarante nuits.